Plusieurs dans le même corps
Publié il y a 6 jours
23.10.2025
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Sur les réseaux sociaux, les vidéos évoquant le trouble dissociatif de l’identité (TDI) se multiplient. On y voit même certaines personnes filmer leurs «switchs», c’est-à-dire les passages d'une personnalité à une autre, souvent de manière spectaculaire. Ces contenus qui cumulent des millions de vues fascinent autant qu’ils inquiètent. «Il y a un grand nombre d’adolescent-es qui s’auto-diagnostiquent après avoir vu ces vidéos, sans passer par une évaluation clinique», alerte Élise Trierweiler, cheffe de clinique en psychiatrie de liaison au CHUV. «Ce qu’on observe en ligne est souvent assez éloigné de la réalité clinique.» Le phénomène risque ainsi de masquer d'autres souffrances psychiques ou retarder des prises en charge adaptées. Car derrière les images virales, le trouble dissociatif de l'identité reste une pathologie rare et complexe, encore en débat dans le monde médical. Ce trouble se caractérise par la coexistence, chez un même individu, de plusieurs identités dissociées, avec leurs propres schémas d’expériences, de perception, de conception et de relation à soi, à son corps et à son environnement. Chaque identité peut avoir sa propre manière de s’exprimer, ses propres souvenirs et préférences.
L’un des symptômes les plus fréquents est l’amnésie: la personne oublie des événements ou peut avoir la sensation de ne pas être à l’origine de ses propres gestes. «Ce ne sont pas des mises en scène ou des simulations, insiste l’experte. Ces changements d’état sont involontaires, souvent déclenchés par des stimuli qui rappellent un traumatisme.»
Ce trouble trouve généralement son origine dans des traumatismes survenus dans l’enfance, à une période où la personnalité est encore en formation. Pour survivre et conserver la capacité de fonctionner, l’enfant se dissocie psychiquement. «C’est un mécanisme de protection extrême mais très efficace», explique Élise Trierweiler.
Une réalité plus nuancée
Dans les récits populaires, on évoque souvent les «alters», ces identités multiples qui cohabiteraient au sein d’une même personne. Mais la réalité clinique est plus nuancée. «On préfère parler de parties dissociées ou d’états de personnalités», précise la spécialiste. Certaines de ces parties gèrent les tâches du quotidien, tandis que d’autres portent les blessures et la charge émotionnelle des traumatismes.
Dans les vidéos virales, les différentes personnalités sont quantifiées, chacune reçoit un prénom, a une histoire, voire une fonction distincte. «Compter et lister les identités n’a pas de sens médical. Cela crée souvent de l’angoisse, voire une confusion supplémentaire. Notre rôle, c’est d’aider à organiser ces personnalités, non pas de constituer une galerie de personnages.» Donner un nom peut néanmoins servir d'outil thérapeutique. «Ce n’est pas une révélation magique, mais un travail encadré, qui permet d’identifier les mécanismes en jeu et de diminuer la souffrance.»
Une prise en charge lente, profonde et humaine
C’est souvent par hasard que la suspicion d’un TDI émerge. Par exemple, lors d’une consultation pour un autre trouble. Le diagnostic peut prendre des années. «Ce sont des thérapies longues et exigeantes. C’est une reconstruction de soi, une réunion d’un système intérieur devenu dysfonctionnel. On s’approche lentement des traumatismes. Comme pour tous les patient-es en psychotraumatologie, se sentir en sécurité est la priorité.»
Ce trouble, encore mal compris, ne se guérit pas totalement. Il s’agit davantage de le stabiliser et d’apprendre aux personnes concernées à vivre avec, comme on le ferait dans le cas d’un diabète ou d’une schizophrénie. «Il n’y a pas de médicament pour traiter la dissociation elle-même. Certaines approches non médicamenteuses sont à l’étude, actuellement la psychothérapie reste l’approche la mieux documentée. Les symptômes comme l’anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, les flashbacks, ou encore les attaques de panique répondent pour leur part à une médication spécifique.»
Un trouble encore marginal
Ce trouble ne fait toujours pas consensus dans la communauté psychiatrique. Mal connu, il est souvent mal compris. Pourtant, la reconnaissance de sa réalité progresse, notamment grâce aux recherches en neuroimagerie. «On observe des présentations structurelles et fonctionnelles différentes chez les patient-es souffrant d’un TDI, notamment en raison de troubles neurodéveloppementaux liés à une exposition répétée et précoce à des évènements traumatiques ou des négligences émotionnelles graves. Les images diffèrent s’il s’agit d’un-e patient-e TDI, d’un sujet sans trouble dissociatif ou de test de simulation d’un trouble dissociatif. Il y a aujourd’hui une base scientifique solide pour le considérer sérieusement.» En Suisse, aucune statistique officielle ne permet de quantifier précisément le nombre de personnes concernées. «On évalue actuellement la prévalence aux alentours de 1 à 1,5% de la population générale, ce qui équivaut à la prévalence de la schizophrénie. Ces chiffres sont probablement sous-évalués. Mais dans nos services cela reste extrêmement rare.»