SE REMETTRE EN MARCHE

Publié il y a 4 mois

18.08.2024

Partager

Véritable atout santé, la marche fortifie le système cardiovasculaire et la santé mentale, en diminuant notamment le stress et l’anxiété.

Les feuilles tombent, le soleil émerge à travers les arbres. La balade semble bucolique, mais se déroule en réalité dans une salle au quatrième étage de l’Hôpital orthopédique du CHUV. Le Swiss BioMotion Lab étudie la marche, et notamment son impact sur des maladies telles que l’arthrose du genou. Dans une pièce bardée de caméras, avec un sol intelligent, la personne munie de petits capteurs marche à son rythme. Ses mouvements, la force dans ses articulations et l’activité de ses muscles sont alors observés et mesurés.

Créé en 2014, le Swiss BioMotion Lab inaugurera en septembre 2024 son nouvel espace. Il dispose d’un équipement unique au monde, qui se compose d’un immense écran incurvé faisant face à un tapis de course médical. «Cette innovation ouvre de multiples perspectives, détaille Julien Favre, docteur en biomécanique et co-directeur du laboratoire. Jusqu’à présent, nous pouvions uniquement enregistrer quelques pas dans un couloir. Cette nouvelle méthode nous permet de faire marcher le patient dans un contexte immersif – avec des parcours en forêt ou dans la ville de Lausanne –, où il pourra effectuer des actions tout en se baladant.»

Le dispositif de pointe permet de créer un double numérique. «La signature de marche d’une personne est reproduite sur l’écran avec un avatar en 3D, détaille Julien Favre. Selon les dysfonctionnements observés, nous pouvons corriger le mouvement en incorporant à la vidéo une animation personnalisée des actions souhaitées. Le patient se cale ensuite sur son avatar pour reproduire le bon mouvement.» Cette méthode permet aussi d’étudier comment réduire les douleurs et ralentir l’évolution de l’arthrose du genou, explique la professeure Brigitte Jolles-Haeberli, chirurgienne orthopédiste et codirectrice du labo­ratoire. «À un état de la maladie plus avancé, ces données de marche devraient également permettre de déterminer quel type de chirurgie sera le plus adéquat, de dessiner des prothèses sur mesure, et de personnaliser la rééducation.» 

L’enjeu de l’arthrose 

Maladie chronique, l’arthrose altère le fonctionnement et les tissus d’une articulation, comme le genou, la hanche, le coude, etc. Elle se caractérise par des douleurs et une importante raideur au mouvement. Véritable problème de santé publique, elle toucherait 60% des plus de 60 ans et coûte plus de 1,5 milliard de francs par année en Suisse. Et la tendance est à la hausse, notamment pour le genou. «Il y a quelques années, j’opérais autant de hanches que de genoux, remarque Brigitte Jolles-Haeberli, récemment élue à l’Académie française de chirurgie. Aujourd’hui, le genou devient largement prédominant. » Les raisons : « L’augmentation de la pratique de sports induisant des chocs répétés, comme le football, le ski ou la course à pied, qui causent parfois des lésions aux ligaments ou aux ménisques du genou, mais aussi le surpoids et l’obésité en hausse, qui augmentent les contraintes sur les articulations.»

Les nouvelles installations du Swiss BioMotion Lab permettront également d’accroître le nombre de patient-es reçu-es quotidiennement, et de rapprocher davantage la pratique clinique et la recherche. «Ce changement d’échelle – combiné aux outils d’intelligence artificielle qui nous permettront de traiter davantage de données – rendra possible l’établissement de modèles plus globaux et plus intégrés à la prise en charge des patient-es, ajoute Brigitte Jolles-Haeberli. Des partenariats cliniques pour d’autres pathologies impliquant une altération du mouvement sont également en cours de développement.»

Les risques de la sédentarité

«La marche est une activité physique complète, explique Mathieu Saubade, médecin du sport au CHUV et à Unisanté. Elle a des effets positifs sur les muscles, les articulations, la circulation, ainsi que sur le système cardiovasculaire et respiratoire. Elle est aussi efficace pour la prévention de l’obésité, du diabète et de l’hypertension, limite le cholestérol et diminue les risques de maladies cardiaques, pulmonaires et d’apparition de certains cancers. Ses bénéfices sont aussi majeurs sur la santé mentale en apaisant le stress et l’anxiété, tous deux des facteurs de dépression. L’activité physique libère en outre des endorphines et des hormones du bien-être.»

Mathieu Saubade, médecin du sport au CHUV et à Unisanté, détaille comment la marche peut avoir un effet bénéfique sur la santé mentale.

Pourtant, nos sociétés occidentales tendent à être de plus en plus sédentaires, et les impacts sur la santé sont alarmants. L’OMS estime que l’inactivité majore le risque de décès de 20 à 30% par rapport aux personnes suffisamment actives. L’immobilisme amplifie notamment les risques de surpoids, de diabète et de problèmes cardiovasculaires. La sédentarité se situe à la quatrième place des causes de mortalité au niveau mondial. Et le phénomène est intergénérationnel. En 2019, une étude de l’OMS montrait que les jeunes adolescent-es suisses étaient plus de 85% à ne pas faire suffisamment d’activité physique, un taux en hausse depuis quinze ans.

RÉGULARITÉ ET PLAISIR 

La marche est pourtant une activité gratuite, qui nécessite peu d’équipements et que l’on peut adapter facilement en fonction de son âge et de sa condition physique. L’OMS recommande aux adultes d’effectuer au minimum deux heures trente de sport d’intensité moyenne ou une heure quinze d’activité intensive par semaine. «Chaque individu a une vitesse de marche préférentielle, qui diffère de l’un à l’autre, explique le médecin du sport Mathieu Saubade. Le rythme de confort correspond à la marche sans effort. Au quotidien, un bon exercice consiste à marcher un peu plus rapidement, de manière à être légèrement essoufflé-e mais sans transpirer. C’est ce qu’on appelle une activité physique modérée.» Se baser sur la respiration permet d’adapter l’exercice à ses propres capacités. «Pour être dans la bonne intensité, l’objectif est ainsi de marcher à un rythme modéré, tout en étant capable de parler ou chanter en même temps.»

Pour débuter, un premier programme consiste à se fixer trente minutes de marche modérée par jour. «On peut ajouter des bâtons pour travailler les bras et le dos et ainsi avoir un exercice complet.» Le médecin du sport est cependant sceptique par rapport aux objectifs du nombre de pas par jour. «Le concept des 10’000 pas par jour a été inventé par une marque japonaise de podomètre dans les années 1960. C’est un chiffre publicitaire, pas scientifique. De plus, ces mesures nécessitent des outils – un podomètre ou un smartphone – et ne prennent pas en compte l’intensité. Parcourir 3000 pas chez soi ou en montagne n’apporte pas le même bénéfice. En outre, pour les personnes extrêmement sédentaires, dépasser les 2500 pas par jour représente déjà une étape. Des études ont par ailleurs montré que pour ces individus, chaque 1000 pas diminue de 15% la mortalité.»

Le secret de la progression: la constance. «Le seul moyen d’obtenir de réels bénéfices sur la santé repose sur la régularité, insiste le médecin du sport. Ainsi, la première chose à faire pour augmenter ses dépenses consiste à trouver du temps dans son organisation de la semaine pour l’activité physique, si possible tous les jours. Il s’agit de faire en sorte que ce soit une habitude, qui implique une faible charge mentale, et devienne même, idéalement, un plaisir. La pratique doit être considérée comme une priorité, et non pas comme une option, sur laquelle il serait possible de faire l’impasse.»