
«Sur 20 cas, le généraliste sait en résoudre 19»
Publié il y a 7 mois
18.08.2024
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IN VIVO Comment le décalage entre le nombre de médecins et les besoins de la population se ressent-il ?
SÉBASTIEN JOTTERAND Comme il y a de nouveaux cabinets qui ouvrent, il peut être difficile de se rendre compte de la problématique. Mais en réalité, la Suisse n’arrive pas à suivre et comme il faut au moins douze ans pour former un médecin, le risque de se retrouver dans un désert médical est fort. Concrètement, les difficultés que les personnes peuvent rencontrer dépendent beaucoup de si elles ont déjà un généraliste ou non. Et lorsque ce n’est pas le cas, il peut être très dur d’entendre que tel ou tel médecin ne prend plus de patient-es dans une situation où le besoin de consultation est urgent. Le temps que les gens doivent investir pour obtenir un rendez-vous parfois simplement pour un avis ou un contrôle est totalement démesuré. Plus largement, les cantons ont le devoir de garantir l’accès aux soins, or dans ces conditions, la population est entravée dans l’accès à des soins primaires.
Le décalage entre le nombre de spécialistes de médecine interne et les besoins de la population se creuse aussi face aux nouveaux défis qui s’imposent. Ces dernières années, nous assistons par exemple à une demande croissante de consultations chez les jeunes de moins de 30 ans. Une augmentation évaluée à 22,7% et principalement pour des problèmes psychiques. Le renforcement de la médecine de premier recours est donc indispensable pour offrir du soutien à une jeune population de plus en plus en désarroi face à la situation climatique, au monde du travail ou encore à l’instabilité de la paix mondiale.
IV Par quoi faudrait-il commencer pour renforcer la médecine de famille ?
SJ En tant que coprésident de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse, cette question me traverse constamment l’esprit. Pour garantir des soins de base complets et de haute qualité, il faut d’abord agir au niveau de la formation. À mon avis, l’un des enjeux majeurs est de ramener du concret dans la formation. Rien n’est plus motivant que le contact direct avec les patient-es. Au niveau suisse, 1200 médecins sont formé-es par année. Nous voudrions opérer une augmentation de 50% et parvenir à 1800 diplômé-es par an. Pour encourager la relève, il est aussi important de défendre l’image professionnelle de cette spécialité. Mais la tendance à dévaloriser tout ce qui est humain et relationnel est forte. Les gens aiment le pain artisanal, mais seront en même temps fascinés par un boulanger qui parvient à tripler sa production en peu de temps. La médecine de famille en pâtit directement, puisque dans le système de rémunération actuel, les actes techniques valent plus que les actes intellectuels.
IV Pensez-vous que la population se fait une fausse idée du métier de généraliste ?
SJ Beaucoup s’imaginent en effet que le médecin de famille est consulté au début du processus et qu’il ne sait pas résoudre les problèmes, mais s’occupe simplement de trier les patient-es, les recommandant à d’autres spécialistes en fonction de leurs symptômes. Or, statistiquement, sur 20 cas, le généraliste sait en résoudre 19 par du conseil, des médicaments ou des bons de physiothérapie. C’est un véritable levier pour simplifier le système et limiter les coûts en évitant des examens superflus. Ce fonctionnement est avantageux pour tout le monde, car personne ne va aller subir une biopsie pour se changer les idées durant son temps libre. Aussi, si le ou la généraliste est bien un-e spécialiste de premier recours, il est également un médecin de dernier recours, suivant les personnes jusqu’au bout de leur vie, dans le cadre des soins palliatifs, par exemple. Et entre les deux, le médecin de famille est un partenaire de dialogue pour soutenir les patient-es dans le système de soins tout en les orientant en ayant une connaissance approfondie de leur état de santé.
IV Quelles sont les mesures à mettre en place pour améliorer les conditions de travail des médecins ?
SJ En plus de la revalorisation salariale par rapport aux autres spécialités, il est important de renforcer la collaboration avec les assistant-es médicaux et médicales en cabinet, les équipes infirmières et les pharmacien-nes. Il existe notamment un brevet pour mieux reconnaître le travail des assistant-es médicaux et médicales et qui leur permet ensuite de faire une partie du suivi clinique pour des maladies comme le diabète ou l’hypertension et autres maladies chroniques. Cette option peut participer à décharger les généralistes d’une partie de leurs consultations. Et il est urgent de trouver des solutions, car la pénurie de généralistes les place sous pression. Beaucoup de médecins de famille se retrouvent dans une situation où ils ne font que répondre aux urgences, ce qui les menace à la fois de burn-out, mais peut aussi les démotiver. Ainsi, on se retrouve dans une logique contre-productive où la rareté des médecins de famille risque d’amplifier la pénurie.
IV Existe-t-il aussi des pistes dans la relation à la patientèle pour agir contre cette surcharge ?
SJ Une approche encourageante est la promotion de l’auto-gestion. Il s’agit, lorsque c’est possible, de partager avec les personnes atteintes de maladies de longue durée et leurs proches des outils pour gagner de l’expérience dans la maîtrise du traitement. Cette manière de faire permet d’avoir des patient-es expert-es et des médecins de famille qui sont juste là pour les accompagner. Il se tisse alors une relation de collaboration où la personne malade devient une véritable partenaire dans le parcours de soins.
Biographie
Sébastien Jotterand obtient son diplôme de médecine interne générale en 1990 à Genève. Il exerce actuellement au Centre médical d’Aubonne. Depuis 2011, il collabore avec le Département de médecine de famille de Lausanne où il a aussi été chargé de cours. Il accueille régulièrement dans son cabinet des étudiant-es pour des stages et des médecins assistant-es en formation. Il copréside actuellement l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse qui représente les intérêts professionnels politiques et économiques du métier de généraliste.