
La chirurgie du genou se robotise
Publié il y a 4 jours
05.06.2025
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D’ici 2060, le nombre de poses de prothèses du genou pourrait être multiplié par 4, voire 5, selon les projections internationales. En cause: une usure plus précoce des articulations, liée notamment au surpoids, à certains traumatismes sportifs, mais aussi à des attentes toujours plus élevées en matière de mobilité. «Aujourd’hui, on opère des quadragénaires, alors qu’il y a 25 ans, cet âge était encore considéré comme trop jeune pour une prothèse», observe Julien Wegrzyn, chef du Service d’orthopédie et de traumatologie du CHUV ad interim et professeur associé à l’Université de Lausanne. «Et on opère aussi des personnes de 85 ou 90 ans qui veulent continuer à voyager, marcher, bouger. Il y a une augmentation régulière des exigences fonctionnelles. On veut faire plus, plus longtemps.»
Face à cette évolution, le CHUV s’est équipé de MAKO, un bras robotisé d’assistance chirurgicale en service depuis décembre 2024. Le bras robotisé ne remplace pas la main du chirurgien. Il la prolonge, en guidant les découpes osseuses nécessaires à la pose d’une prothèse. «C’est comme un pilote automatique dans un avion. Il y a un plan de vol, et c’est le pilote qui garde la main», explique Julien Wegrzyn.
Une opération millimétrée
Avant chaque opération, tout est planifié dans le détail. À partir d’un scanner 3D du genou, Marie Matos, ingénieure biomédicale, prépare un premier plan avec les chirurgien-nes. «Cette étape permet d’anticiper la taille des implants et le déroulé de l’intervention», précise la spécialiste. C’est une véritable chirurgie virtuelle qui prévoit en amont toutes les difficultés potentielles. «Le jour J, je vérifie que le robot est bien calibré, que ses capteurs fonctionnent, et je l’aide à se situer dans la salle par rapport à la caméra. Il faut qu’il sache où il est, avant qu’on puisse lui montrer où est le genou du patient ou de la patiente.»
Une fois le robot prêt et la personne opérée installée, les chirurgien-nes entrent en scène. Le plan établi à partir du scanner est ajusté en temps réel, en fonction de la réalité du corps, comme la tension des ligaments, la mobilité, ou encore la souplesse. «On projette l’idéal, puis on s’adapte au vivant», résume Julien Wegrzyn. Guidé par le plan préétabli, le robot assiste la main du chirurgien pour retirer la partie abîmée de l’os et préparer l’articulation pour la réception de la prothèse. Le geste est d’une précision au dixième de millimètre près, et il est encadré: si l’instrument s’approche d’une zone sensible comme un nerf, un muscle ou un vaisseau, le bras robotisé s’arrête de lui-même. Cette sécurité intégrée porte un nom: la technologie «haptique», qui fonctionne comme une barrière invisible que le robot ne peut pas franchir.
Un puissant outil d’apprentissage
Pour Julien Wegrzyn, cette technologie ne transforme pas seulement les gestes: elle change aussi la manière d’enseigner. «On gagne du temps, on gagne en sérénité. Et pour les jeunes chirurgien-nes, c’est un outil de formation extrêmement puissant. Ils n’apprennent plus seulement à reproduire un geste, mais à réfléchir à chaque étape, à planifier une opération dans le détail: de la taille de la prothèse, en passant par l’angle des coupes jusqu’à la tension des ligaments.»
Au CHUV, cette précision est aussi un gage de sécurité. «Avec les instruments classiques, il peut y avoir des erreurs de positionnement dans 10 à 30% des cas, dues à des vibrations - induite par la scie oscillante lors de son passage à travers les guides de coupes osseuses - ou à des limites mécaniques. Là, on est dans l’inframillimétrique.» Résultat: des gestes plus légers, moins de douleurs, moins de saignements, et une récupération souvent plus rapide. Cette précision repose aussi sur une veille constante en coulisses. L’ingénieure biomédicale Marie Matos assiste chaque intervention. Elle surveille le bon fonctionnement du robot et intervient en cas d’imprévu. «C’est comme un ordinateur: il peut arriver qu’il ait un petit bug. C’est exceptionnel, mais quand ça se produit, je suis là.»
Une technologie d’avenir
Après près de mille opérations, elle reste impressionnée. «Sur certains cas très complexes, quand on voit le résultat, je me dis que cette technologie est incroyable». Julien Wegrzyn partage cet enthousiasme. «On est arrivé à un niveau de précision et de personnalisation qu’on n’aurait pas imaginé il y a dix ans.»
D’ici 2027, MAKO pourrait aussi être utilisé pour poser des prothèses d’épaule en Europe, une application déjà en service aux États-Unis. En Australie, un tiers des interventions orthopédiques sont déjà robot-assistées. En Europe, le coût reste un frein, mais les usages progressent. «C’est comme le GPS dans une voiture», compare Julien Wegrzyn. Au début, on trouvait ça gadget. Aujourd’hui, personne ne veut s’en passer.»