«Un bébé, ce n’est pas toujours merveilleux. Contrairement à ce que montrent les clichés encore présents dans notre société. C’est une expérience extrêmement exigeante, qui prive de sommeil et bouleverse les jeunes parents.» Mathilde Morisod est médecin adjointe au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV. Elle s’occupe, entre autres, des femmes touchées par la dépression post-partum. La maladie survient dans les semaines suivant l’accouchement et touche environ 20% des mères. Si les signaux varient, elle peut se manifester par une constante envie de pleurer, un découragement, de l’anxiété, des idées noires ou encore une tristesse difficilement explicable.
«La culpabilité est omniprésente, complète la pédopsychiatre. Ces femmes s’occupent de leur bébé de manière automatique. Elles éprouvent souvent des difficultés à créer un lien affectif avec l’enfant, sont malheureuses et ressentent de la honte. Ce sentiment d’être une mauvaise mère est renforcé par les idées préconçues qui conditionnent la naissance à un moment heureux. Mais la parentalité peut constituer une crise psychique majeure en raison du remaniement identitaire qu’elle provoque. Les nouveaux parents ne sont plus seulement les enfants de leur famille, ils sont parents à leur tour. Un changement doit donc s’opérer, similaire au passage de l’enfance à l’âge adulte durant l’adolescence.» La fatigue et le manque de sommeil renforcent la dépressivité. La maladie ne doit cependant pas être confondue avec le babyblues, qui n’est pas considéré comme pathologique et qui se manifeste par une instabilité de l’humeur dans les deux à trois jours qui suivent l’accouchement, provoquée par les variations hormonales.
Les facteurs socio-économiques influencent le risque de dépression post-partum. Les études montrent qu’un tiers des femmes migrantes sont touchées. La monoparentalité et des antécédents de dépression ou de troubles psychiatriques peuvent aussi exacerber les difficultés. En outre, «on note un continuum entre le pré-partum et le post-partum: environ 12% des femmes touchées peuvent présenter des troubles anxio-dépressifs déjà durant la grossesse. » Un questionnaire destiné au grand public, disponible en ligne – l’« Edinburgh Postpartum Depression Scale » –, a été développé pour permettre d’identifier les signes d’une dépression post-partum.
Chez les pères, les études actuelles estiment que 12% sont touchés par la dépression post-partum. Contrairement aux femmes qui se surinvestissent souvent auprès de l’enfant, eux ont plutôt tendance à fuir et à se réfugier, dans le travail, le sport ou les sorties, par exemple.
UN TABOU PERSISTANT
Élodie Azoulay a vécu une dépression post-partum. «Lors de mon accouchement en 2020, il y a eu un problème avec l’anesthésie. J’ai dû accoucher dans une souffrance absolue. Cette incompréhension et cette violence ont provoqué en moi une dissociation traumatique et une véritable anesthésie émotionnelle : je ne ressentais plus rien, même quand on m’a présenté mon bébé.» Commence alors un long parcours où la dépression isole la jeune maman. «Je n’arrivais plus à ressentir quoi que ce soit. Moi qui m’étais tant réjouie de ce bébé, j’étais comme une morte-vivante. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je perdais pied et la culpabilité me rongeait. J’étais en plein stress post-traumatique. Le décalage entre mes attentes et cette réalité m’accablait. J’avais l’impression que je ne m’en sortirais jamais.» La maladie peut durer des mois, voire plusieurs années. Pour Élodie Azoulay, elle aura duré deux ans. Les idées noires, les phobies d’impulsion, soit la crainte involontaire de blesser le bébé, sont omniprésentes. Elles ne sont en réalité pas dangereuses, mais provoquent un stress aigu chez le parent.
La Lausannoise suit une psychothérapie et contacte l’association Dépression postpartale Suisse , dans laquelle elle est engagée aujourd’hui en tant que responsable Suisse romande. L’association propose une ligne téléphonique de soutien, un réseau professionnel, des groupes de parole ainsi que des marrainages. «La dépression post-partum est une double peine. La maternité est de toute façon difficile, mais la dépression enlève même les bons moments. Restent seulement l’épuisement et l’angoisse. Mais un jour, on finit par aller mieux.»
À 36 ans, Élodie Azoulay milite pour une meilleure reconnaissance de cette maladie et le développement d’unités dédiées aux soins de la mère et son enfant. «Le personnel soignant doit impérativement être mieux formé à reconnaître et à soutenir la dépression post-partum», souligne-t-elle. Un avis partagé par Mathilde Morisod :«Après l’accouchement, les femmes passent trop souvent au second plan. Les soignant-es, et notamment les pédiatres qui rencontrent régulièrement les enfants dans cette période, doivent aussi faire attention à la mère et reconnaître les signes d’une dépression post-partum.»
La pédopsychiatre souligne également le rôle de la parole. «Les groupes de soutien sont essentiels pour déculpabiliser et rompre la solitude.» Les traitements psychothérapeutiques et les médicaments antidépresseurs peuvent aussi faire partie de la prise en charge. En août 2023, l’Agence américaine du médicament a approuvé pour la première fois un traitement spécifique contre la maladie, le traitement n’est pas encore autorisé en Suisse. Cette pilule agirait plus rapidement que les traitements classiques. «Il ne faut pour autant pas négliger l’accompagnement psychothérapeutique qui montre une très bonne efficacité.»
1 L’association sera prochainement renommée «Periparto Suisse».