
GAZ HILARANT, RISQUES SÉRIEUX
Publié il y a 0 jours
18.09.2025
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C’est une drôle de pêche que les bénévoles d’une opération de nettoyage du lac Léman ont réalisée l’été dernier au large de Cologny (GE): des dizaines de bonbonnes grand format de protoxyde d’azote. «Suite à un exercice de plongée, la police nous a alertés de la présence d’un nombre important de déchets à cet endroit», précise Pascal Mulattieri, président de l'Association pour la Sauvegarde du Léman (ASL), qui organise tous les deux ans un nettoyage des rives et des fonds du lac Léman.
L’ASL met alors sur pied une opération coup de poing, en mobilisant une trentaine de plongeurs. «Au total, nous avons récupéré près de 80 bonbonnes. En 2022, l’équipe de bénévoles en charge de ce secteur avait déjà remonté une vingtaine de grandes bonbonnes métalliques.»
Troubles neurologiques
Identifié à la fin du XVIIIe siècle par un chimiste anglais, le protoxyde d’azote est utilisé comme anesthésiant en médecine. Il est aussi employé dans l’industrie alimentaire, par exemple comme gaz propulseur dans les siphons à chantilly. Son inhalation provoque une brève sensation d’euphorie et de déconnexion, d’où son nom de gaz hilarant. Mais son usage détourné n’est pas sans danger: consommé de manière répétée, le «proto» peut entraîner de graves troubles neurologiques.
«La toxicité du protoxyde d’azote tient au fait qu’il inactive la vitamine B12 et certaines réactions métaboliques essentielles dans le fonctionnement du système nerveux», explique Marie Théaudin, médecin adjointe et responsable de l'Unité Nerf Muscle au sein du Service de neurologie du CHUV. La vitamine B12 joue notamment un rôle crucial dans la formation de la gaine de myéline, qui protège les nerfs. «L’altération de la myéline peut entraîner des dysfonctionnements du système nerveux central (moelle épinière en premier lieu, et plus rarement le cerveau) et périphérique (nerfs des bras et des jambes) responsables de troubles sensitifs, de perte de coordination, de faiblesse musculaire, voire de paralysie.»

«Plus on en consomme, plus le risque de complications augmente», précise Marie Théaudin, de l'Unité Nerf Muscle du CHUV. La spécialiste précise aussi que les effets délétères du protoxyde d'azote ne se voient pas toujours immédiatement.
Risque de complications
À noter que ces effets délétères ne sont en général pas immédiats. «Le protoxyde d’azote induit un trouble métabolique qui s’installe progressivement, avec un effet cumulatif, précise l’experte. Plus on en consomme, plus le risque de complications augmente.» Le protoxyde d’azote peut aussi provoquer une anoxie lors de l’inhalation, soit un manque d’oxygène dans les tissus de l’organisme, qui peut entraîner des lésions graves. Par ailleurs, une carence en vitamine B12 peut aussi affecter la production des globules rouges, menant à des complications hématologiques.
Chez certain-es patient-es, les symptômes neurologiques apparaissent brutalement, avant de s’aggraver rapidement. «Une récupération est possible, à condition d’arrêter immédiatement la consommation et de mettre en place un traitement, sous la forme d’une supplémentation en vitamine B12 à forte dose, et parfois en méthionine.»
Mais la récupération est lente, et certains individus gardent des séquelles motrices ou sensitives, parfois importantes. Dans les cas les plus sévères, cela peut aller jusqu’à une perte totale de la marche. «Tout dépend de la sévérité de l’atteinte au moment du diagnostic et de l’âge de la personne.»
Différence de cas qui interroge
Le protoxyde d’azote séduit principalement les adolescent-es et jeunes adultes. Une étude réalisée en France en 2022 indique que 14% des 18-24 ans ont déjà expérimenté ce gaz, et près de 3% en ont consommé dans l’année. «Cela fait déjà quatre ou cinq ans que la question du protoxyde d’azote est très discutée en France, précise Marie Théaudin. Lors de colloques, des séries de patient-es, se comptant en dizaine de cas à l’échelle d’une seule ville, ont été présentées. Il existe désormais même une association médicale, Protoside, dédiée aux conséquences neurologiques du protoxyde d’azote.»
En Suisse, la consommation de protoxyde d’azote à des fins récréatives reste peu documentée. Le dernier rapport publié par Infodrog, la centrale nationale de coordination des addictions mise en place par l'Office fédéral de la santé publique, indique que la prévalence d’usage au cours des 30 derniers jours est passée de 5% à 8% entre 2022 et 2023, tandis que la consommation déclarée sur les 12 derniers mois a diminué de 13% à 11% parmi les personnes sondées.
Au CHUV, le nombre de cas se compte pour l’instant sur les doigts d’une main. «C’est assez surprenant, surtout en comparaison avec nos confrères français. Nous nous demandons où sont ces patient-es? Soit le phénomène est réellement marginal ici, ce qui serait rassurant, soit les consommateurs et consommatrices ont intégré les messages de prévention et consomment très peu ou épisodiquement, ou prennent de la vitamine B12 en complément, même si cela n’empêche pas les complications en cas de consommation intensive et prolongée.»
Il n’en demeure pas moins le fait que consommer régulièrement du protoxyde d’azote s’avère très dangereux. «Et cela même si la substance peut sembler anodine par rapport à d’autres drogues.» Surtout, en cas de développement de troubles comme une perte de sensibilité, une faiblesse dans les jambes ou des fourmillements, il s’agit d'arrêter immédiatement la consommation et de consulter rapidement. «Il ne faut pas attendre, car ces problèmes ne disparaissent pas sans traitement.»
Pas de réglementation spécifique
Ces dernières années, plusieurs pays européens - dont la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Belgique - ont interdit la vente et la possession de protoxyde d’azote à des fins récréatives. En Suisse, la substance n’est pas considérée comme une drogue au sens de la Loi sur les stupéfiants, mais sa vente est soumise à différentes réglementations selon l’usage prévu. Interpellé sur le sujet, le Conseil fédéral a indiqué en 2024 ne pas prévoir pour l’instant de nouvelles mesures concernant le gaz hilarant.
L’an dernier, le Tribunal fédéral a cependant confirmé une décision interdisant la vente ou la remise de protoxyde d’azote destiné à l’inhalation récréative dans le canton de Bâle-Ville. Une jurisprudence qui pourrait ouvrir la voie à d’autres restrictions cantonales. Certains cantons procèdent par ailleurs à des contrôles dans les bars et les boîtes de nuit.
Pour aller plus loin
L’association française Protoside vise à sensibiliser les jeunes aux dangers de l’utilisation récréative du protoxyde d’azote.
Lien vers le site: protoside.com