
Améliorer sa santé en jeûnant?
Publié il y a 1 jour
11.07.2025
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Que ce soit à domicile ou dans des cures, toujours plus de Suisses et Suissesses s’adonnent à la pratique du jeûne, de manière prolongée ou de façon intermittente. Leur objectif dans la majorité des cas: se «détoxifier», prendre du temps pour soi, retrouver de l’énergie, perdre éventuellement quelques kilos. Ces retombées positives, vantées par plusieurs de ses amies, ont convaincu Chantal, une Neuchâteloise d’une soixantaine d’années, de pratiquer un stage dans le Sud de la France. «Nous avons d’abord réalisé une semaine de préparation chez nous en Suisse, dite de descente alimentaire avec une baisse progressive des calories absorbées, ainsi que, selon les préférences de chacune, un nettoyage du colon ou une purge à base de jus. Puis, nous nous sommes rendus dans un endroit en pleine nature pour la semaine de jeûne. Là-bas, nous consommions essentiellement des tisanes et des bouillons, marchions deux heures par jour environ, avions des temps de sieste, ainsi que des conférences et des discussions autour du jeûne et d’autres thématiques le soir.» La novice a été étonnée de la rapidité avec laquelle son corps s’est adapté au régime de moins de 250 calories par jour. «J’ai souffert d’un peu de fatigue et d’une grande sensation de faim durant les trois premiers jours, mais après cela, j’avais de nouveau de l’énergie.» Elle tire un bilan positif de l’expérience, avec un plaisir gustatif augmenté. «J’ai savouré comme jamais la pomme de terre qui nous a été servie au moment de la reprise de l’alimentation.» Elle dit aussi avoir ressenti une grande sérénité en revenant de son séjour.
Des participantes au même stage recouraient au jeûne pour des raisons de santé, parce qu’elles souffraient de maladies chroniques. «Ce n’était pas leur premier jeûne, elles faisaient régulièrement des cures, y compris chez elles, car cela soulageait des maux liés à des problèmes d’arthrite ou de maladies musculaires qu’elles n’arrivaient pas à soigner avec la médecine conventionnelle», souligne la Suissesse. Ce type d’objectifs thérapeutiques est reconnu en Allemagne, où le jeûne peut être prescrit et remboursé par l’assurance maladie également dans des cas d’hypertension, de rhumatisme ou de diabète de type 2. Des hôpitaux l’organisent comme la Charité de Berlin ou des cliniques privées telle la Clinique Buchinger Wilhelmi, qui a reçu plus d’un demi-million de personnes dans son centre de cure inauguré en 1953 au bord du lac de Constance. Contrairement aux stages non médicalisés ou aux cures pratiquées en autonomie à domicile, un suivi par des professionnel-les de la santé avec des examens sont organisés dans ce cadre avant, pendant et après le jeûne.
En Suisse, une telle prise en charge du jeûne par la LAMal n’existe pas. Des études sont en cours pour déterminer la pertinence de l’approche. «Nous n’avons pas d’évidence dans la littérature scientifique actuelle permettant de dire que la pratique du jeûne long répond aux besoins de toutes les personnes», explique Sylvie Borloz, diététicienne cheffe adjointe au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. Un jeune long, selon une méthode de type Buchinger, s’étend sur une période d’au moins quatre jours consécutifs, en fonction des besoins et de la constitution de la personne, avec des apports caloriques entre 70 et 250 kcal par jour.
La diététicienne reconnaît que des observations individuelles pointent vers un meilleur confort. «Le jeûne (de plusieurs jours ou intermittent) pousse l’organisme à puiser dans ses réserves favorisant un système d’autonettoyage des cellules, appelé autophagie.» Elle se montre plus sceptique sur les effets de nettoyage de l’intestin. «Nous savons l’importance de la flore et le but est de la cultiver, de l’équilibrer via l’alimentation plutôt que de la ‘purger’.»
Plusieurs scientifiques investiguent actuellement d’éventuels effets positifs sur des organes en dehors du système digestif, ou dans la prévention de maladies neurodégénératives, cardiovasculaires ou de formes de cancer. «Il y a eu des résultats intéressants sur les animaux, mais pas encore d’études longues sur les humains.»
Phénomène du jeûne intermittent
Ayant trouvé le processus du jeûne long un peu contraignant, Chantal a plutôt choisi de se mettre au jeûne intermittent. «J’ai décidé chaque jour de dîner, puis de souper, et finalement d’arrêter de manger jusqu’au lendemain midi. Je me sentais souvent lourde ou ballonnée dans la matinée après mon petit-déjeuner, bien que celui-ci était sain, composé de muesli par exemple. Je voulais retrouver de l’énergie et contrôler mon poids. Je fais cela depuis près de deux ans, mon corps s’est bien habitué, je n’ai plus faim avant 11h-11h30 désormais et je me sens plus en forme, j’arrive même à faire des séances de sport le matin.» Dans le même temps, elle n’a pas l’impression de faire de grands sacrifices. «Je ne supprime pas le repas du soir qui est important pour ma vie sociale et je m’accorde quelques rares écarts, par exemple si je suis en vacances et qu’il y a un magnifique buffet de petit-déjeuner.»
Face au succès récent du jeune intermittent, auquel sont consacrés depuis plusieurs années des dizaines de livres, de podcasts et d’applications mobiles, les praticien-nes comme le monde de la recherche analysent son possible effet positif sur l’obésité ou le diabète. «Le jeûne intermittent consiste à limiter la période durant laquelle l’on consomme des aliments, rappelle Sylvie Borloz. Ce temps correspond classiquement à une dizaine d’heures. En pratique, cela peut consister à manger le matin et prendre son dernier repas de la journée entre 16 et 18 heures ou alors décaler le premier pour manger dès midi seulement. Toutefois, les protocoles recommandent plutôt de finir de manger un peu plus tôt dans la journée, ce qui est plus pertinent d’un point de vue métabolique et hormonal.»
L’intérêt du jeûne intermittent par rapport à d’autres modes d’alimentation est qu’il se focalise moins sur les quantités consommées durant les repas et qu’il pourrait diminuer la fréquence des repas et des grignotages (en absence de troubles du comportement alimentaire). Il peut aussi permettre de mieux ressentir la faim. En réduisant la fenêtre de temps dans laquelle on s’alimente, on limite également potentiellement l’apport calorique et cela peut entraîner une légère perte de poids à court terme. «Toutefois, s’il s’agit du but recherché, cela peut s’avérer utile de consulter une équipe multidisciplinaire (médecin, diététicien-ne, professionnel-le du sport, etc.), rappelle Sylvie Borloz. Le but est de déterminer les changements de comportement les plus appropriés, pour pouvoir maintenir cette perte de poids sur la durée.»
Comme pour les cures de plusieurs jours, les bénéfices du jeûne intermittent pour les personnes malades sont aussi difficiles à estimer. Aménager une période où l’on ne mange pas empêcherait les pics glycémiques et d’insuline. «Pour les maladies comme le diabète, les études montrent que la pratique permet aux personnes atteintes de mieux réguler leur glycémie et d’améliorer leur résistance à l’insuline.» Il pourrait aussi y avoir un effet positif sur les maladies cardiovasculaires. «Il est néanmoins difficile de dissocier cet impact bénéfique des autres facteurs liés au mode de vie, telles l’activité physique ou la qualité des aliments consommés par exemple.»

Pas de recommandation généralisée
Chez les personnes en bonne santé, le jeûne long ne semble pas présenter d’effets dommageables selon une étude du CHU de Saint-Etienne en France menée avec la clinique Buchinger Wilhelmi l’an dernier. Les participant-es à un jeûne de 12 jours ont été examiné-es avec une IRM juste après, deux mois et quatre mois plus tard. Ils et elles préservent l’intégralité de leurs muscles, et leurs organes (cœur, cerveau, etc.) s’adaptent au changement métabolique survenu durant la cure. Toutefois, toutes les pratiques de jeûne, long comme intermittent, sont contre-indiquées pour des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire et de problèmes de gestion des émotions. «Se priver d’aliments implique des restrictions et peut donc générer des envies ou des fringales», rappelle la diététicienne du CHUV. Il est aussi déconseillé chez les enfants et les personnes âgées, chez qui l’appétit est moins grand et, pour qui, trois repas par jour ainsi que des collations sont importants.
L’une des limites d’une préconisation généralisée du jeûne long concerne aussi sa faisabilité. «Il s’agit d’une pratique assez lourde qui demande de baisser drastiquement les calories pendant une semaine ou plus, voire de se rendre dans une clinique. Cela requiert des moyens financiers et du temps à disposition.»
Bonne hygiène de vie
Il n’a pas encore été démontré que le jeûne, long ou intermittent, avait de meilleurs résultats que les recommandations alimentaires actuelles. «Dans les études sur le sujet, les périodes de jeûne intermittent ne durent généralement que quelques mois et sur de petits groupes de participants, car il est compliqué de recruter des populations qui suivent ce mode d’alimentation plus longtemps. Il manque donc des données sur le jeûne intermittent à long terme, prévient la diététicienne. À l’inverse, des recommandations, comme la consommation d’aliments riches en fibres, de protéines d’origine végétale, et la réduction de certains produits animaux et de boissons sucrées ou alcoolisées, ont clairement montré des résultats positifs pour tous les types de populations. Cela en fait une habitude plus intéressante que les pratiques de jeûne pour la majorité des gens.»
La diététicienne craint aussi les dérives comme dans le cas d’autres diètes restrictives. «Il ne faudrait pas que ce soit une manière de compenser des excès, comme cela peut se produire dans le cadre de certains régimes, débouchant sur des effets de poids yoyo et, in fine, un rapport problématique à l’alimentation. Si c’est une semaine dans l’année sans changement d’habitudes de vie ou un jeûne intermittent qui n’est pas réalisé de manière conséquente, il ne peut y avoir d’effets positifs sur le long terme.» L’avis d’un-e médecin est recommandé avant de débuter un jeûne.
Jeûne et cancer
Dans le cas d'un cancer, des études menées aux États-Unis ont laissé penser que jeûner cinq jours avant une chimiothérapie augmenterait l'effet du traitement et diminuerait les effets secondaires. Un essai clinique mené à l'Institut national du cancer de Milan dans le cadre du projet International Breakfast a montré des effets similaires chez un petit groupe de patientes atteintes d'un cancer du sein triple négatif à un stade précoce. Néanmoins, le CHUV suit en la matière les recommandations du réseau européen NACRe (Nutrition Activité Physique Cancer Recherche) et ne conseille pas de recourir à des régimes restrictifs chez cette catégorie de patient-es à risque de dénutrition, malnutrition et de perte musculaire importante. «Nous n’avons actuellement pas de preuves suffisantes d’un effet bénéfique du jeûne en regard des risques et préférons adopter une vision prudente. Toutefois, si un-e patient-e souhaite vraiment faire un jeûne, nous respectons son choix et l’accompagnons afin qu’il ou elle ne se mette pas en danger.»