Lichen scléreux: la maladie oubliée
Publié il y a 0 jours
07.11.2025
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«Si c’est ça, vous n’avez vraiment pas de chance.» C’est par cette phrase qu’Alba* a découvert l’existence du lichen scléreux. Dans le cabinet d’un gynécologue remplaçant, elle entend pour la première fois le nom de cette maladie dont elle souffre sans le savoir depuis des années. Le lichen scléreux est une maladie inflammatoire chronique de la peau, probablement liée à un dérèglement du système immunitaire. Il touche le plus souvent la région génitale, en particulier la vulve, l’ensemble des organes génitaux externes de la femme, et la zone anale. Les démangeaisons, les brûlures et les sensations de tiraillement qu’il provoque peuvent devenir très invalidantes au quotidien. Dans les formes les plus sévères, la maladie entraîne une altération progressive des tissus pouvant aller jusqu’à la fermeture partielle de l’entrée du vagin et la suppression des lèvres extérieures.
Pour Alba, tout a commencé par une sécheresse vaginale persistante. À de nombreuses reprises, elle en parle à ses médecins, mais ses plaintes restent sans réponse. «On m’a même suggéré que j’étais frigide», raconte-t-elle. À cela s’ajoutent des démangeaisons récurrentes, un symptôme pourtant typique du lichen scléreux. Souvent confondues avec une simple mycose, ces irritations conduisent de nombreux gynécologues à prescrire, à tort, des crèmes antifongiques inefficaces. «Il ne s’agit pas d’une infection, mais d’une maladie intrinsèque à la peau», insiste la doctoresse Martine Jacot-Guillarmod, médecin adjointe au Service de gynécologie du CHUV. On estime qu’environ une femme sur 70 pourrait développer un lichen scléreux au cours de sa vie.
Une errance diagnostique
«J’ai pleuré pendant un quart d’heure le jour où la diagnostic est enfin tombé. Tout avait un sens. Ce qui m’a le plus marquée, c’est de voir à quel point c’était évident pour cette gynécologue, alors que pendant toutes ces années, aucun autre médecin ne l’avait vu et surtout, aucun ne m’en avait parlé.» Alba se souvient de l’absence totale de démarches d’investigation. «À la place, on me disait que je me lavais trop, que je frottais trop, que c’était de ma faute. Repenser à tous ces médecins qui m’ont jugée sans comprendre, c’est difficile.»
Un manque de formation et de sensibilisation explique en partie ces errances diagnostiques. Martine Jacot-Guillarmod en est consciente: «Je parle de ces sujets à mes étudiant-es, mais le temps de cours est limité, donc on ne peut pas approfondir. En revanche, dans les formations continues que je dirige, j’essaie souvent d’inclure une thématique sur la vulve.»
Pour la spécialiste, la clé est de banaliser le sujet. «Pendant longtemps, dans les ouvrages de référence en gynécologie, souvent rédigés par des hommes, la vulve et le clitoris ne figuraient pas. Aujourd’hui, les choses ont changé et on parle désormais davantage de la vulve et du clitoris.»
En quête constante
Sur Internet, on trouve une multitude de traitements, allant de simples pommades aux interventions au laser, en passant par des régimes alimentaires drastiques. Pourtant, pour Martine Jacot-Guillarmod, le premier traitement est une crème à base de corticoïdes. Souvent redoutés, ces corticoïdes sont ici utilisés localement, et non par voie générale, ce qui limite les effets secondaires. «Il ne faut pas en avoir peur, car ce sont eux qui permettent de stabiliser durablement la maladie.» D’autres options, comme les immunomodulateurs locaux (des substances qui régulent le système immunitaire), peuvent être envisagées dans des cas particuliers, par exemple en cas d’allergie aux corticoïdes. Mais les alternatives vantées en ligne comme le laser, les régimes alimentaires ou les produits naturels, ne reposent sur aucune preuve scientifique solide à ce jour. «Il y a eu de nombreuses études sur les régimes, parfois très contraignants, mais aucune n’a démontré d’efficacité sur le contrôle de la maladie ou la prévention des complications, ce qui reste notre objectif principal.» Alba a trouvé une crème à base de cortisone qui la soulage. Elle applique également quotidiennement une crème hydratante et continue d’explorer d’autres options pour trouver une solution durable.
Une zone que l’on ne regarde pas
«Les patientes observent rarement leur vulve sans raison particulière, dit Martine Jacot-Guillarmod. C’est généralement seulement lorsqu’un symptôme apparaît qu’elles y prêtent attention. Elles découvrent parfois des dépigmentations ou des modifications de la peau et de l’anatomie. Autant de signes cliniques qui peuvent révéler une pathologie comme le lichen scléreux.» Pour Alba, ça a été un vrai apprentissage. «Ma gynécologue m’a appris à écouter mon corps. Elle m’a montré les zones à surveiller. Si les femmes ne regardent pas leur vulve, ce n’est pas par négligence, c’est qu’on ne leur a jamais appris à le faire.»
Cette connaissance est cruciale, non seulement pour comprendre son propre corps, mais aussi pour appliquer correctement un traitement. Lors des consultations, la gynécologue Jacot-Guillarmod utilise souvent un écran pour montrer en direct l’examen, permettant aux patientes de suivre et de poser des questions. Cette approche est particulièrement importante pour des pathologies comme le lichen scléreux, qui peuvent avoir des impacts significatifs si elles ne sont pas repérées à temps.
Quand la parole devient un soin
Après l’enregistrement et la diffusion d’un podcast sur la maladie, Martine Jacot-Guillarmod raconte que le secrétariat a été submergé d’appels. De nombreuses femmes s’étaient reconnues dans les symptômes décrits et souhaitaient obtenir un rendez-vous.
«C'est vraiment important de parler de cette maladie», insiste Alba. Malgré les tabous, elle choisit de s’engager auprès de l’association du lichen scléreux. «Il y a une vraie sororité et une liberté de parole précieuse. Il faut des espaces pour raconter, témoigner. Ce n’est pas un sujet facile. On ne parle pas de sa vulve à un dîner familial. Mais si au moins les gens savent qu’on est atteintes d’une maladie auto-immune, et que c’est difficile aussi psychiquement, c’est déjà du soutien.»
*prénom d’emprunt
Pour aller plus loin
Le lichen scléreux: entre errance diagnostique et tabous Cet épisode de l'émission CQFD de la rts donne la parole à Corinne qui raconte ses 40 ans d'errance diagnostique autour de la maladie. Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue au CHUV intervient également. À écouter ici: https://www.rts.ch/audio-podcast/2024/audio/le-lichen-sclereux-entre-errance-diagnostique-et-tabous-27490478.html
Association du lichen scléreux Fondée en 2013, par des personnes directement touchées par la maladie, l'association a été crée comme soutien et point d'information face au lichen scléreux. www.lichensclereux.ch/accueil