Anorexie, les jeunes hommes aussi

Yseult Théraulaz

Publié il y a 1 semaine

21.07.2025

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Les troubles du comportement alimentaire chez les garçons sont particulièrement tabous. Or, la difficulté d’en parler retarde la rémission.

«Je n’arrivais plus à courir, ni à monter les escaliers», confie Siméon Calame, hospitalisé cinq fois pour anorexie, lorsqu’il était adolescent. Lors de son parcours hospitalier, il a croisé très peu d’autres garçons souffrant, comme lui, de ce trouble du comportement alimentaire. En effet, la majorité des personnes touchées par cette maladie sont des femmes. Or, les jeunes hommes sont eux aussi de plus en plus concernés. Selon une étude britannique, entre 2016 et 2021, le nombre d’hommes hospitalisés a augmenté de 128%.

L’angoisse de perdre du muscle

Les garçons, contrairement aux jeunes femmes qui cherchent à devenir le plus fines possible, visent majoritairement un corps musclé, sans un gramme de graisse. «Ils sont souvent à la recherche d’un corps en forme de V. Cet idéal n’est pas congruent avec leur propre physique. Ils se tournent alors vers une alimentation très restrictive. L’anorexie masculine est donc assez différente de celle qui touche les jeunes femmes. Dans les deux cas, les personnes concernées vivent dans la peur. Celle de prendre du poids pour les filles, celle de perdre du muscle pour les garçons», analyse la Professeur Kerstin von Plessen, cheffe du Service de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent du CHUV. Chez les jeunes hommes, cette restriction alimentaire se combine souvent à une forme d’hyperactivité physique. C’est justement ce qui est arrivé à Siméon Calame qui est tombé malade vers l’âge de 17 ans. «Pour le travail de maturité d’un copain, j’ai commencé à porter une montre connectée. Ça a été le début de l’engrenage. Je voulais faire de plus en plus de pas chaque jour et j’ai commencé à manger de moins en moins.» 

Ce trouble alimentaire est considéré comme une addiction au même titre qu’une dépendance à une substance. «Les personnes touchées ne parviennent pas à fonctionner normalement, elles ne pensent qu’à la nourriture et leur corps, précise Kerstin von Plessen. Lorsqu’elles maigrissent ou lorsqu’elles s’entraînent, elles activent les mêmes régions cérébrales de récompense que lors d’une consommation de drogue.» Cette maladie prend aussi racine chez des personnes anxieuses, dont l’estime d’elles-mêmes est fragilisée. «Le contrôle de l’alimentation et du poids corporel donne aux personnes anorexiques le sentiment de réussir quelque chose, souligne Sandra Gebhard, médecin cheffe du Centre vaudois anorexie boulimie. Ce qui leur procure une certaine satisfaction. Sans oublier que la dénutrition anesthésie les émotions, ce qui fait du bien lorsque l’on ressent de l’anxiété.» Une réalité qui correspond également au parcours de Siméon Calame, victime de harcèlement scolaire. «Je manquais de confiance en moi. J’ai toujours trouvé que j’avais du ventre.»

L’anorexie mentale s’accompagne souvent de troubles psychiatriques, comme la dépression ou des comportements compulsifs. «Certains symptômes sont proches d’une psychose: la peur de manger peut devenir délirante», précise Sandra Gebhard. La maladie s’accompagne souvent de problèmes digestifs, ou d’effets secondaires liés à la prise de médicaments permettant de gagner du muscle. Elle peut aussi engendrer des troubles de la libido. Les problèmes érectiles sont aussi courants chez les garçons anorexiques.

Les signes auxquels il faut faire attention

Le ou la jeune:

  • mange moins et perd du poids
  • nie la gravité de la perte de poids
  • a une peur intense de prendre du poids
  • a une perception perturbée de son corps, de son poids, ou de ses formes

Lever le tabou pour guérir

La difficulté d’en parler représente une difficulté supplémentaire qui se présente souvent dans le cas de l’anorexie masculine. Les hommes ne se reconnaissent pas forcément dans les représentations que la société a de cette maladie. Cette réalité peut ainsi retarder la demande d’aide et donc de suivi. Lever le tabou autour de l’anorexie masculine est ainsi primordial. Cependant, une fois le traitement entamé, on n’observe pas de différence notable entre les genres quant à la vitesse de rémission.

«La première chose à faire, c’est la renutrition. Ensuite, il faut corriger les comportements alimentaires et proposer un accompagnement psychologique et psychiatrique. À l’hôpital de jour, les garçons sont peu nombreux, mais lorsque c’est possible, nous essayons de faire des groupes masculins pour travailler plus spécifiquement», explique Sandra Gebhard. Et Kerstin von Plessen de conclure: «La dénutrition perturbe beaucoup de mécanismes physiologiques et psychologiques qui se rétablissent souvent avec la reprise d’un poids normal.» Pour Siméon Calame, c’est la solidarité entre les malades, filles et garçons, qui lui a permis de retrouver la santé. «J’étais en apprentissage de pâtissier à l’époque. Je grattais l’huile sur les pâtes que l’on me servait à l’hôpital, je pesais mon pain au gramme près. J’ai fini par ne peser que 42 kilos pour 1,80 mètre. C’est aussi le projet de devenir journaliste qui a été l’un des moteurs pour m’aider à m’en sortir.» Mission accomplie. Aujourd’hui, Siméon Calame a 27 ans et travaille en tant que journaliste gastronomique chez Gault et Millau. Ses tatouages prouvent son amour retrouvé pour les bonnes choses. Sur son avant-bras gauche sont dessinés un fouet de pâtissier, une fraise et une plaque de chocolat, entre autres.

Comment se passe le traitement

Pour les jeunes de moins de 18 ans, le traitement débute par une évaluation d’une à deux demi-journées qui permettent l’établissement d’un diagnostic et la proposition d’un suivi multidisciplinaire. La famille est également reçue par les spécialistes. Ce modèle thérapeutique, appelé FBT pour Family Based Treatment, est reconnu scientifiquement et à l’international pour le traitement de l’anorexie mentale. Cette approche est complétée par de la psychoéducation et des conseils diététiques.

Alimentation / Peur / Psychiatrie